Park Soo Hwan
Park Soo Hwan
est d’abord musicien. Au départ, ses compositions se nourrissaient de déjà vu, mélangeant l’ancien et le nouveau, jusqu’au jour où une formidable intuition modifia radicalement sa pratique.
La scène : un bar. Il regarde le paysage à travers une vitre sur laquelle coule la pluie. Le rythme de l’eau, plus les passants accélérant le pas, plus le mouvement des voitures, furent une révélation. Celle d’un rythme et d’un mouvement musicaux résolument modernes, qui transformèrent son travail. Il décida alors d’oublier les règles apprises précédemment et s’engagea dans une relation moins passéiste et plus spontanée à la musique.
Puis un jour, au début du nouveau siècle, il décide d’étendre sa pratique sonore à d’autres moyens. Ses différentes séries photographiques découlent de son travail, de sa sensibilité de musicien. Nous le savons, l’image permet de percevoir et d’expérimenter différemment le temps, la durée, le rythme. Tel fut le défi. La partition devait changer de forme et de support.
Des structures plus ou moins rigides côtoient mouvement, variation, et improvisation. Des personnes, des visages, des éléments de nature, tous enfermés dans un étrange théâtre, dont nous ne percevons pas bien les intentions ni les objectifs. Il importe peu, en effet, à Park Soo Wan de dévoiler ses intentions. Le but caché réside surtout dans l’absence de but. Ce qui importe plus chez ce jeune artiste sud-coréen de 40 ans est l’arrangement, comme on parle d’un arrangement musical.
En Corée l’art ancien découle d’une longue pratique de la calligraphie. Liberté et souplesse du trait auxquelles s’oppose la majesté de la nature ou la pesanteur de l’histoire. C’est précisément en héritier de cette tradition picturale que Park Soo Wan compose ses images, harmonieuses et légères, comme pour échapper au poids du quotidien.
Dans la première série photo – Sans titre, en noir et blanc, tout semble curieusement irréel, détaché. La vie est absente de chaque image, figée, éteinte, à l’état de surface, comme dans le cas d’un constat volontairement refroidi. Les tirages ont été réalisés sur un papier vieilli car il s’agissait de figurer un retour en arrière. Retour à une époque antérieure – les années soixante-dix.
En ce qui concerne la genèse de la série, l’artiste raconte avoir été frappé par l’omniprésence du passé, lorsqu’il écoutait la radio à son arrivée en France. Et cela contrastait avec la Corée, le pays où il est né et où il a grandi, qui produit une musique tournée vers le présent ou vers le futur. Il a donc tenté d’illustrer cette première impression. Comme une manière de s’intégrer au pays dans lequel il est venu étudier.
Seconde série Sans titre : apparition de la couleur, laissant de côté l’aspect parfois décrépi et blafard vu précédemment. Des tons à dominante pastel, et une variation sur différents types de visages flous. Les photographies ont de la douceur. Cette fois, l’inachèvement s’accentue. Le visiteur assiste à des bribes de mouvements, les gestes sont fragmentés, chaque scène contient une part de mystère. Nous ne comprenons pas bien ce qui se déroule sous nos yeux et pourtant un récit semble lier les éléments de la séquence.
La nature des photographies change beaucoup entre chaque série. La première est presque classique. Nous y retrouvons des préoccupations d’artistes – portrait, nature, paysage, etc. La seconde fait un pas en direction de la publicité. Park Soo Wan y photographie des images telles qu’elles sont visibles sur les panneaux d’affichage urbains, tentant visiblement de faire naître des émotions plus ou moins définies.
La troisième série est radicalement différente (Métronome 1). Le paysage est mis de côté pour se concentrer sur le portrait. Environ une centaine de vues ont été prises, avec différents modèles. Ces dernières écoutaient des morceaux de musique composés par l’artiste. Lui-même les photographiait alors qu’elles bougeaient, se trémoussaient, dansaient. Saurons nous un jour ce qu’elles ont entendu ? Peu importe car le résultat est là : une troublante série de portrait dont la sobriété est tout simplement émouvante. Et de ces nombreux visages naissent autant de subtiles fictions.
Les deux séries les plus récentes s’éloignent à nouveau des corps. Dans le premier cas, Park Soo Wan s’est amusé à rendre palpable le beat de cette ville si particulière de New York. D’où la pertinence du titre Métronome, qui rassemble sous son rythme binaire la verticalité des formes d’une part, et le dédoublement de l’image d’autre part. De belles lignes de fuites en direction du ciel font oublier les structures horizontales ou carrées du premier sans titre. Tout est dans la vibration, l’oscillation, parfois aussi dans des cadences soutenues.
Nous sommes frappés de constater que les métronomes du titre nous attirent vers le haut. L’heure est à l’élévation. A New York, le regard semble désespérément dirigé vers le ciel comme une volonté de reprendre son souffle, de remonter à la surface. Tous ces bâtiments, vitrés pour la plupart, et systématiquement quadrillés, figurent la mobilité du niveau sonore.
A Saint-Malo, c’est une autre histoire. La proximité du ciel le rend très présent. Les façades d’immeubles, toits, clochers, tours, murs, donjons, sont tronqués, réduits, partiellement cachés. Le photographe semble frôler tous ces éléments architecturaux en prenant bien soin de ne surtout pas les exposer de manière frontale.
Mais pourquoi ? parce que Park Soo Wan, musicien et photographe, s’intéresse avant tout à la bordure, aux limites des lieux qu’il traverse. Il travaille le flou dans le sens où il évite de rendre les choses trop évidentes. Car il ne faut pas épuiser trop vite les possibilités qu’offre le décor et les personnages. L’artiste doit mesurer avec soin les effets qu’il recherche. Ainsi il conserve et retranscrit librement toute la poésie contenue dans une situation donnée.
Thomas Zoritchak
Sans titre, 2000-2003
Série en noir et blanc, car l’absence de couleur donne l’impression de remonter le temps. L’Europe, le vieux monde, un autre rythme que la Corée natale de l’artiste. Paysages et personnages semblent étrangement vides. Présence alterne avec absence. Des images hantées…
Sans titre, 2005
Variation sur la couleur de la peau. Le flou règne, nous entraîne vers de la douceur, et un érotisme moite. La température monte, le désir n’est pas loin. Les personnages suggèrent qu’un événement a lieu en ce moment. Chacun l’attend dans son coin, le laisse arriver à lui ou au contraire le fuit.
Métronome 1, 2006
Le photographe fait un nouveau pas vers son modèle. Face à face privilégié entre deux individus le temps d’une conversation. Ils dansent avec intensité. Les visages graves laissent percevoir les bribes d’un possible récit dont nous ne saurons rien de plus. A chacun de l’imaginer.
Métronome 2, 2007
Série réalisée lors d’un séjour à New York. Les corps se font plus lointains. Cette fois les bâtiments s’animent, ils suggèrent une menace. Perspective verticale aux motifs carrés, rectangles, lignes en tous genres. L’artiste rend palpable une absence de mélodie. Image après image, des mouvements contradictoires s’accumulent. Surfaces vitrées, béton, métal.
Métronome 3, 2008
Retour au calme – relatif. Saint-Malo : atmosphère médiévale et minérale. Cette fois les bâtiments restent en bordure, ils ne sont plus le centre de l’attention. A croire que leur rôle consiste à mettre en valeur le ciel, clair mais nuageux. Nous échappons ici au monde contemporain, pour plonger dans un passé mis en scène de manière plutôt inquiétante.

